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Le secret de l'oncle Henri.
Une nouvelle de Marc Gérard.

Quand j’arrivai devant la maison d’oncle Henri, il faisait nuit. À cause d’une caténaire qui avait lâché entre Troyes et Reims, j’avais pris beaucoup de retard. Un incident dû au gel. Mon TGV avait mis plus de quatre heures supplémentaires…
La bâtisse semblait m’attendre, se découpant dans un clair de lune figé par un hiver précoce. On m’avait dit le froid redoutable dans cette région du nord-est et prévenu d’embarquer écharpe, bonnet et moufles en laine. On ne m’avait cependant pas indiqué la bonne épaisseur et, tremblant, je dus reconnaître que j’avais hâte de me retrouver devant un âtre, fourneau, ou toute autre source de chaleur, susceptible de permettre à mes membres de se dégourdir un peu. Pourquoi diable l’oncle avait-il choisi pareil endroit pour s’expatrier ? Avant de partir, j’avais pris soin de plier, dans une petite valise à roulettes, quelques affaires et emporté de quoi subvenir à une hygiène corporelle, même sommaire, au moins le temps de quelques jours.
La maison était imposante…
Méritait-elle le nom de maison ? Châtelet ? Manoir, peut-être ? Gentilhommière ? De loin, elle forçait le respect. Après l’avoir machinalement saluée, j’enfonçai mon chapeau sur ma tête. Je n’allais pas me laisser impressionner par le porche en pierres sculptées de gargouilles baroques ni par les hautes grilles cadenassées qui barraient l’entrée du parc.
À l’époque, j’écrivais déjà des nouvelles fantastiques. Non pas qu’elles fussent formidables, elles étaient fantastiques plutôt au sens du genre auquel elles appartenaient. Je pensais avoir quelque talent pour dépeindre l’étrange ou le surnaturel. Hélas ! Ce n’était pas de l’avis des éditeurs auxquels je m’adressais et qui goûtaient peu mes extravagances littéraires. Ils rechignaient à publier mes fantaisies. Je désespérais de pouvoir vivre un jour d’une plume que je trempais dans des rêves éblouissants, les jours fastes, ou dans mes cauchemars, la plupart du temps. Devant ces refus, je sentais la flamme qui brûlait en moi s’étioler peu à peu.
Dès lors que ce tableau s’offrit à mes yeux et mes sens, j’y vis là un signe du destin. Le cadre était idéal pour trouver l’inspiration. D’ailleurs, si celle-ci continuait à me bouder, il n’en demeurait pas moins que ce patrimoine tombé du ciel m’offrirait, de toute manière, une compensation financière non négligeable, en cas d’éventuelle revente, et ferait bouillir quelque temps la marmite.
J’attendis patiemment qu’une chouette se mette à hululer dans un arbre, ce qui aurait été la moindre des choses pour m’accueillir et parfaire la scène. Mais, devant le silence têtu qui s’était installé, je me décidai à ôter l’une de mes mitaines afin d’empoigner dans la poche de mon caban la grosse clé qui m’avait été remise par maître Chastel, notaire à Roanne. La lumière froide de la lune éclairait suffisamment et la serrure ne me résista pas longtemps…
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